Que signifie vivre entre deux mondes ?
Comment peut-on naître franco-palestinienne ?
Doit-on se soumettre à ces deux identités ou sommes-nous libres de s’en créer une nouvelle ?
Doit-on se dessiner un pays ? *
Doit-on renoncer à l’une de ses cultures ?
Naître dans un double monde.
2 modèles opposés : France – Palestine.
Entre Nazareth et Paris
Entre les étés qui ont bercés mon enfance
Et le quotidien qui régit ma vie
2 mondes se télescopent, s’impriment sur votre rétine, votre corps, votre cœur
Où se situer, dans cette cartographie de mœurs ?
Où faut-il rester ?
Où est ma maison ?
Séjourner le temps d’une vie dans le discordant,
Naître dans le contradictoire, sur un fil tendu à l’extrême entre deux réalités.
Vous devenez funambule performant sur une artère du monde,
Toujours au seuil,
Sur la lisière,
Pendu aux murailles du ciel.
Une question se pose : à quoi appartient-on ?
La facilité de perdre possession de soi s’impose.
Vous devenez une appartenance avortée,
Une carcasse habitée par des comportements
Qui s’adaptent perpétuellement à votre position spatiale.
Vous apprenez alors à adapter votre discours ou à vous taire,
Selon la terre qui s’allonge sous vos pieds.
Le devoir de médiation s’impose.
C’est une dualité,
Prenant la forme d’un chaos ;
Difficile de comprendre la froideur de certains,
et la méfiance des autres.
Vous apprenez alors à négocier votre existence,
A argumenter lorsque votre évidence est remise en cause.
C’est une confrontation à une complexité de réactions que vous ne pouvez déceler,
A un éventail de visages et d’expressions
Auquel vous devez vous adaptez,
S’adapter pour lutter, pour convaincre,
Et ce pour l’éternité.
Pourtant, ce sont ces itinéraires géographiques et temporels qui vous façonnent, vous sculptent et vous fabriquent.
Des itinéraires menant aux siens,
A ce goût excessif des retrouvailles
A la désunion des familles qui se diffractent et se recomposent.
Ces trajectoires guident vers ceux que l’on aime
Ceux qui nous portent,
Et c’est précisément ce qui nous habite,
Ce qui nous anime
Ce qui nous pousse à ouvrir des plaies porteuses de merveilles.
Ces merveilles résident dans la démesure de l’observation,
L’observation du détail,
La documentation de l’ordinaire
Le hissement du prosaïque au rang de miracle.
C’est le quotidien qui lorsque confisqué, acquiert instantanément une valeur supérieure,
Je m’éprends alors d’une atmosphère, d’un monde en train de s’effiler
Et poursuis ma quête continue de repères.
Le soleil presque assassin devient un amant,
Et le gout des figues s’accroche sur le bout de votre langue.
Au col des supeyres, les myrtilles émaillent les échos de votre mémoire,
Et l’autre côté de la mer, ce sont les dattes qui racontent leur Histoire.
C’est la langue de votre mère qui sommeille en vous,
Et qui ne demande qu’à être déliée
C’est la cueille des pêches et des grenades. **
Série de photos de kosa w wara dawali : courgettes et feuilles de vignes farcies, plat de mon enfance réalisé par les femmes de ma famille lors de mes départs et arrivées en Palestine.
Ce continent antinomique s’apparente à un divorce intérieur,
Il vous brûle, vous élève, vous apprend à relativiser
Il interroge et révèle l’infini qu’enclore le monde,
Il dissimule un espace polychrome.
Dans ces allers et retours se cachent le bourgeon d’un monde intime,
Naissant entre deux terres,
Dans un bruissement d’ailes,
C’est un cœur double qui dicte vos émois
Et vos émois se décuplent
C’est alors l’ultra-vivant qui murmure à l’azur
Ce sont vos yeux qui se délestent,
Qui conquièrent cette capacité d’aimer.
Vous prenez alors conscience que derrière ces allures de déracinement immortel,
Se cache la plus noble bénédiction que la vie ait pu vous accorder.
*Nizar Kabbani
** Fairuz : Tik tik ya em Slaiman – chanson que ma mère me chantait durant mon enfance.