« dir niyya w n’ass m3a hiyya”1
« aie confiance et dors avec le serpent »
Dans le travail de Chahid El Batti, les tendances s’inversent. Ce sont les hommes qui peuplent le ciel. Les étoiles sont des visages, ils forment des astres et font partie de la galaxie.
Cette installation se veut immersive, tel l’arbre des compétences du jeu vidéo Skyrime, l’artiste vous porte jusque dans son univers et les références qu’il explore afin de nourrir son processus créatif. Chahid est fortement inspiré par le travail de jeunes artistes de la scène française tel que Stellarmani, par le célèbre photographe japonais Daidō Moryama, ou encore le cinéaste américain Khalik Allah. Cette installation puise parmi ces trois grandes références, déterminantes dans la pratique de l’artiste, ainsi que dans le rapport qu’il entretient aux images.
Chahid El Batti est également fortement influencé par sa première formation en sciences, qui se traduit par son attachement à développer différentes matières et formules chimiques dans le processus de développement de ses photographies ou sérigraphies. Chahid explore toutes les possibilités que lui offre le médium photographique en le faisant dialoguer avec d’autres démarches. En effet, il apprécie travailler à partir de contextes. Il démultiplie donc la création d’univers singuliers, notamment sous la forme d’une installation ou bien d’espace digital 3D.
Chahid collecte des portraits photographiés à l’argentique de ses amis.es. Ces images peuplent son univers, forment son entourage. Partant de sa pratique photographique, il travaille ici sur des plaques de métal en venant y transférer différents portraits argentiques, par un mélange à base de résine.
Tous les portraits sont reliés les uns aux autres et forment différentes constellations. Elles gravitent autour et au-dessus de nous. Cet espace projette le.la spectateur.rice dans l’infini de la galaxie. Cette galaxie est aussi le lieu dans lequel l’artiste s’apaise. L’intranquillité qui l’habite laisse place à cette croyance forte et immuable qu’il porte en ses amis.es.
Cette croyance porte un nom, la niyya.
C’est cette niyya qui le soigne. Chahid El Batti ancre sa démarche artistique dans une philosophie qu’il nomme la philosophie du FAIRE/FER.
Le FAIRE/FER est une démarche active. C’est une intention. Celle de réussir ensemble, d’avancer ensemble. Cette intention prend ses racines dans les croyances personnelles et philosophiques de l’artiste, notamment dans le concept de niyya tiré des hadiths, figurant dans le Coran. La niyya est un concept islamique et plus largement une pratique culturelle, une façon de croire et de placer une intention sincère dans une démarche ou une pensée. La niyya est donc une modalité, un positionnement, une façon de croire. Elle ne porte pas sur un réel finalisé, car peu importe le résultat, c’est l’intention qui compte. Cette intention ne change pas, même une fois l’action finalisée et le réel vécu.
L’oeuvre de Chahid El Batti est magique et rend possible d’autres interactions entre différentes formes de vivants : les astres, les hommes, la nature, la technologie, le divin. Cette oeuvre nous rend sensible à d’autres principes actifs dans le réel, que nous ne voyons pas, ou bien que nous n’étions plus capable de voir.
La constellation agit donc en tant que “talisman”2, objet qui guide et rappelle du danger. La présence du spectateur active les pouvoirs de cette constellation, permettant à chacun.es d’être au monde, plus intensément, plus librement. Ce talisman offre la condition d’une existence fluide, libérée de toute identité figée. Il vous accueille à l’infini.
Chahid El Batti souhaite se souvenir de ceux.celles qui le font.
De ceux.celles avec qui il le fait, de ceux.celles qui le poussent.
Car c’est collectivement qu’il se réalise dans son art, avec tendresse et engagement.
Engagement dans une cause, la nôtre, celle de toujours le faire ensemble.
Parmi cette galerie de portraits, cet intranquille qu’est Chahid El Batti a confiance et dort parmi les serpents.
C’est la niyya qui le sauve, cette confiance infinie en ceux.celles qui habitent son art, son cœur, sa vie.
Proposition curatoriale par Jade Saber
1 Surnaturel et société, l’empire magique de la maladie et du malheur à Khénifra, Maroc, Saâdia Radi, Éditions
Centre Jacques-Berque, 2013
2 Parler l’ombre, Conversation entre Ana Vaz et Olivier Marbeouf dans le cadre de l’exposition « Talismans »,
Fondation Gulbenkian.